lundi 14 septembre 2015

Consommation

J’ai terminé la lecture de quelques bouquins qui m’ont fait réfléchir sur la consommation. Ça m’a incitée à partager avec vous quelques idées qui m’ont particulièrement plu.

Depuis quelques décennies une nouvelle morale hédoniste s’est substituée aux idées de tempérance et de restriction qui étaient favorisées auparavant. Un renversement complet des valeurs est survenu. Le 20e siècle abandonne l’esprit d’épargne pour répondre aux sollicitations du nouveau système industriel et promouvoir la dépense au rang de valeur sociale. Cette morale est fondée sur le crédit et la satisfaction de tous les désirs.

Pourtant, La tempérance, le sens de la mesure, le dépouillement et la frugalité ont longtemps été des vertus indiscutables de nos sociétés. Nos grands-parents vivaient simplement, concevant eux-mêmes la plupart des produits et biens qui leur étaient nécessaires, se contentant de l’indispensable, s’abstenant de s’offrir le superflu. De tous temps, des philosophes, des sages et bien sur les religions ont célébré la frugalité:

Platon : Le vrai philosophe est ʺun homme modéré dans ses désirs, exempt de cupidité, de bassesse, d’arrogance, de lâcheté.ʺ
Aristote : ʺLe parfait bonheur est une sorte d’activité purement contemplative.ʺ
Sénèque : ʺIl faut faire consister le bonheur dans la possession d’une âme libre, élevée, à l’abri des craintes et des désirs.ʺ
Confusius : ʺLe contentement apporte le bonheur, même dans la pauvreté. Le mécontentement apporte la pauvreté même dans la richesse.ʺ
Le bouddhisme : ʺL’attachement aux choses de ce monde rend la prospérité matérielle hostile au développement spirituel.ʺ
L’hindouisme : ʺCelui qui vit libre de tout désir, sans attente… accède à la paix.ʺ
Le christianisme : ʺQuel profit retirera l’homme qui obtient la totalité du monde s’il doit, pour cela, perdre son âme ?ʺ
Mahomet : ʺLa vraie richesse d’un homme en ce monde se mesure au bien qu’il a fait autour de lui.ʺ Le judaïsme : ʺNe me donnez ni pauvreté, ni richesse.ʺ
Léonard de Vinci : ʺLa simplicité est la sophistication suprêmeʺ
Tolstoï : ʺLe petit groupe d’hommes qui domine la classe des travailleurs, jouissant de tout ce qu’elle produit, vit dans l’oisiveté, dans un luxe insensé, et dépense inutilement et immoralement le travail de millions d’êtres.ʺ
Henri Bergson : ʺCe qui est beau, ce n’est pas d’être privé, ni de se priver, c’est de ne pas sentir la privation.ʺ
Khalil Gibran : ʺLa soif de confort tue l’âme, puis assiste à ses obsèques en souriant.ʺ
Gandhi : ʺVivez simplement pour que d’autres puissent simplement vivre.ʺ

Pendant la seconde moitié du 20e siècle, les citadins, de plus en plus nombreux, se sont coupés de leurs racines rurales. L’intégration à la société est passée par la répudiation des valeurs paysannes et l’adoption de nouvelles normes de rentabilité et de production de masse conduisant à la consommation de masse. Les foyers urbains se sont emplis d’une panoplie d’électroménagers, de machines à laver, de réfrigérateurs, de téléviseurs et l’automobile n’est plus uniquement réservée aux plus fortunés, elle devient indispensable à tous.

Aujourd’hui, nous sommes encouragés à accumuler presque de façon compulsive, à toujours croître économiquement, nous sommes stressés, surmenés, nous gaspillons, nous sommes endettés. Nous affichons des symboles matériels qui nous valorisent, nous confortent dans notre identité, nous permettent d’afficher notre réussite, nous apportent l’approbation de nos pairs et marquent notre statut.

Parmi les manœuvres commerciales mises en marche pour augmenter la consommation, l’obsolescence planifiée est l’une des plus insidieuses. Lorsque la production démesurée de produits et de biens s’est mise en place, il a fallu convaincre le consommateur qu’il était utile de posséder plusieurs exemplaires d’un article (un deuxième maillot de bain, une deuxième voiture, une résidence secondaire…) Les fabricants ont alors réalisé qu’une limite serait vite atteinte. À un moment tout le monde aurait assez de biens et le stade de la saturation serait atteint. Si les usines continuaient à produire alors qu’on ne consommait plus, il y aurait surabondance et ça serait néfaste pour les affaires… Alors les architectes ont imaginé une stratégie pour que les consommateurs continuent d’acheter : l’obsolescence planifiée. Les produits sont destinés à être jetés ou remplacés aussi vite que possible même s’ils ne sont en fait presque jamais obsolètes quand nous nous en débarrassons. Ils sont fragiles et possèdent une brève durée de vie, le coût de réparation se rapproche du prix du modèle de remplacement et il est difficile de se procurer des pièces détachées. Ce qui fait le succès de ce système, ce sont les produits jetables (couches, serviettes hygiéniques, appareils photo, lingettes, rasoirs, assiettes…), il s'agit d'obsolescence instantanée. Quant à l’obsolescence perçue ou de désirabilité, elle représente l’objet qu’on désire remplacer, non parce qu’il ne fonctionne plus, mais parce qu’on préfère acquérir le nouveau modèle (les goûts et la mode entrent ici en scène). La stratégie a fonctionné, nous nous débarrassons des produits (souvent très bons) à un rythme de plus en plus rapide.

La publicité est le second outil commercial sournois utilisé pour inciter à la consommation. Elle entretient une pression sur les individus en diffusant des représentations fausses et inatteignables, des modèles radieux, éternellement jeunes, beaux, sveltes, sans rides, parfaitement lissés (sur photoshop) qui promettent bonheur, santé, bien-être, prospérité. En achetant des cosmétiques, vous achetez la beauté et la séduction, en achetant une voiture, vous achetez la puissance et la virilité. Un parfum est une promesse d’amour, un rasoir, l’espoir d’attirer par sa peau douce. Pour en imposer, il faut posséder les signes de la réussite et se conformer aux ordres des marchandises. L’identité passe par l’identification aux marques. Une personne s’affirme par ce qu’elle affiche, elle est reconnue pour ce qu’elle a et non pour ce qu’elle est.

Pourtant, nous ne pouvons obtenir tout ce que nous avons besoin que lorsque nous limitons nos besoins, lorsque nous nous modérons. Cette morale hédoniste a éliminé notre capacité à nous fixer des limites. Avec des besoins sans cesse accrus, nous n’obtenons jamais tout ce que nous avons besoin. Nous avons l’impression de toujours manquer de quelque chose malgré la grande quantité de biens et de marchandises que nous possédons.

Il nous faut toujours plus, plus d’argent, plus de crédit, plus de possessions, pour suivre les modes, les innovations technologiques, se conformer à des standards de vie en continuelle hausse. Sous ce règne du calcul, les rapports entre les personnes sont faits de jalousie, d’envie, de convoitise, de concurrence, de tensions qui détruisent la compassion et brisent les liens d’entraide et de réciprocité. 

Les valeurs matérialistes sont vénérées et elles sont si imprégnées dans toutes nos têtes qu’elles nécessitent un véritable travail sur soi pour s’en défaire. Il faut s’arrêter et réfléchir. La vie est ailleurs que dans le travailler plus pour gagner plus pour dépenser plus pour vivre moins.

Désobéir aux sommations à la surconsommation c’est s’offrir un temps autonome pour créer, cultiver, autoproduire, marcher, récupérer, rencontrer, lire, discuter, contempler, philosopher, militer, être avec ses proches… pour développer sa faculté d’agir. Il faut se libérer de ces chaînes que nous forgeons volontairement tout en nous plaignant d’avoir à les porter.

De plus, accepter de conserver uniquement ce dont on a besoin permettrait le partage de la richesse, nul ne manquerait de rien et chacun se contenterait de ce qu’il a. Les inégalités mondiales sont abyssales. Une minorité s’accapare les richesses mondiales et pille les ressources naturelles à son profit. L’enrichissement de quelques-uns se fait au détriment des autres.

Notre mode de vie nourri aux combustibles fossiles est insoutenable. Notre empreinte écologique globale s’aggrave d’année en année. Une telle vie à crédit ne dure qu’un temps. L’expansion arrive à sa fin, elle butte maintenant contre les limites physiques de la Terre. Le dérèglement climatique s’emballe, les principaux minerais se raréfient et leur valeur augmente tout comme l’énergie et le pétrole. Les réserves se tarissent. Pour retarder cette échéance, nous sommes prêts à exploiter les sables bitumineux, les gaz de schiste, à forer en eau profonde, à cultiver des terres agricoles pour alimenter les réservoirs en agrocarburants plutôt que pour nourrir les hommes.

Selon l’étude annuelle réalisée par le Global Footprint Network, l’empreinte écologique poursuit sa tendance à la hausse. Il fallait ainsi en 2014 l’équivalent de 1,5 planète Terre pour produire les ressources correspondant à l’empreinte écologique de l’humanité. Le Canada se trouvait alors en 11e place parmi les pays dont l’empreinte écologique est la plus lourde. Actuellement l’humanité coupe les arbres trois fois plus vite qu’ils ne repoussent, pêche les poissons plus vite qu’ils ne se reproduisent, pompe les aquifères plus vite qu’ils ne se reconstituent, émettent plus de CO₂ et de gaz à effet de serre que les puits de carbone n’en capturent.

Ne pourrions-nous pas reconnaître collectivement que nous avons sombré dans la démesure, que la sobriété doit redevenir une valeur essentielle et que les plus riches doivent drastiquement restreindre leur train de vie. La fin de la société de consommation risque de se produire sous la contrainte. Il nous paraît difficile de renoncer à la profusion dans laquelle nous baignons. Pourtant, les générations suivantes vivront avec moins que les précédentes. Ils réapprendront les savoir-faire aussi banals qu’oubliés tels que réparer son vélo, coudre, bricoler, faire son jardin… Ils seront contraints de renouer avec le sens de la mesure et la modestie. La frénésie d’acquisition, l’endettement ne peuvent continuer de se multiplier car la Terre approche de ses limites, au point de mettre en jeu la santé des populations humaines.

Nous devrions nous demander s’il existe des solutions autres que matérielles pour satisfaire nos besoins. Un diamant n’équivaut pas à l’amour, seul l’amour peut rivaliser avec l’amour. L’amour permet d’être à l’écoute, d’être respectueux, d’offrir son aide, sa tendresse et sa présence. Nous devrions montrer notre affection à ceux qu’on aime, prendre soin de nos enfants et nous divertir sans utiliser toujours plus de ressources. Plutôt que d’exposer notre situation par nos vêtements, nos voitures, nos maisons, nous pourrions fonder notre statut sur la disponibilité, l’expérience, la sagesse et développer un esprit communautaire essentiel au bonheur.

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